Rachat d’une entreprise : cessions d’actions ou cessions d’actifs ?

Lors du rachat d’une entreprise, est-il préférable d’acquérir les actifs de la société visée (soit son fonds de commerce, en tout ou en partie) ou la société elle-même (c’est-à-dire en achetant la majorité voire l’intégralité de ses actions ou parts sociales) ?(1) Le jargon des praticiens fait ainsi la distinction entre un asset deal ou un share deal. Les conséquences de ces deux méthodes pouvant être sensiblement différentes d’un point de vue juridique, comptable et fiscal, il convient d’y réserver une attention toute particulière le moment venu.

Le rachat d’actifs se distingue du rachat d’actions sur les aspects suivants :

  • Parties à la transaction : société ou actionnaires
    Le patrimoine d’une société est distinct de celui de ses associés ou actionnaires. La société elle-même – et non pas ses actionnaires – est donc propriétaire des actifs qu’elle exploite.En cas de transfert d’actifs, c’est bien la société qui, par l’intermédiaire de ses organes (le conseil d’administration dans la SA ou le gérant dans la SPRL), conclura la convention de transfert.Inversement, en cas de transfert d’actions, ce sont les actionnaires (dans les SA) ou associés (dans les SPRL), propriétaires des actions (ou parts sociales en SPRL), qui interviendront à la convention.Il est essentiel de tenir compte de cet élément afin d’identifier son interlocuteur lorsque des négociations susceptibles de conduire à la conclusion de documents précontractuels, tels une lettre d’intention ou un accord de confidentialité, sont entamées. Ce point est également crucial pour déterminer le bénéficiaire du prix de la cession, lequel ne peut servir comme les parties en sont parfois tentées en cas de transfert d’actions, à l’apurement des dettes de la société.
  • Objet transféré
    L’opération de transfert d’actifs est par définition exclusive de toute reprise d’éléments du passif. En cas de cession d’un fonds de commerce, l’acquisition ne porte que sur ses éléments d’actifs et les dettes qui s’y rattachent ne seront incluses que si les parties le prévoient expressément. Une telle opération présente donc un intérêt certain en cas de crainte d’un passif occulte ou trop important dans le chef de l’entreprise rachetée. Notons toutefois qu’en présence de sûretés grevant les actifs cédés (hypothèque ou gage), celles-ci seront transférées également. De même, en cas de cession de fonds de commerce, l’ensemble du personnel et les charges sociales y afférentes sera légalement cédé en même temps que le fonds.En cas de cession d’actions, par contre, les parties ne peuvent a priori exclure quelque élément d’actif ou de passif isolement. Ceux-ci sont en effet transférés dans leur intégralité car il n’y a pas de cession de patrimoine d’une société vers une autre mais simplement un changement d’identité dans l’actionnariat d’une société dont le patrimoine demeurera quant à lui intact.L’acquéreur veillera donc à se prémunir contractuellement contre une surévaluation de la société au moment de la conclusion de la convention de cession. En effet, ce dernier n’aura très souvent pu observer la société que de l’extérieur avant de l’acquérir ; ce n’est que lorsqu’il se retrouvera à la direction de celle-ci qu’il pourra se forger une idée précise sur la consistance et la valeur réelle de ses actifs. Il n’est pas rare qu’une série de dettes (fiscales ou sociales) apparaissent avec un effet retard (de plusieurs mois, voire quelques années). Cette problématique cruciale fera l’objet des clauses de garanties auxquelles les parties accorderont une importance toute particulière. Ce n’est qu’exceptionnellement que certains éléments d’actifs ou de passifs seront exclus du périmètre de la cession (‘carve-out’) aux termes de clauses qui solliciteront souvent la créativité des conseillers juridiques des parties.
  • Conséquences fiscales
    • Taxation des plus-values : les régimes de taxation des plus-values sur réalisation d’actifs ou sur réalisation d’actions diffèrent également. La Belgique ne taxe pas les plus-values sur actions à l’impôt des personnes physiques, pour autant qu’elles soient réalisées dans le cadre de la gestion normale du patrimoine privé. En revanche, la plus-value réalisée sur la cession d’actifs est, quant à elle, imposable au taux d’imposition applicable à l’ensemble des revenus (soit, pour les sociétés : 33,99% (sauf application des taux réduits) et en personne physique : la plus-value est imposable aux taux ordinaires ou à 16.5% (plus additionnels communaux) en cas de cessation d’activité).
    • Activation au bilan et amortissement : les acquisitions d’actifs permettent une activation de ceux-ci au bilan ainsi qu’un amortissement corrélatif de leur valeur d’acquisition, ce qui peut susciter une économie non négligeable. Cette possibilité n’existe pas en tant que telle pour les acquisitions d’actions.
  • Gestion des affaires post-cession
    Une cession d’actions permet d’éviter un changement brutal au niveau de la conduite des affaires de la société. En effet, les gestionnaires en fonction au moment de la cession, et qui le restent par hypothèse au-delà de celle-ci, sont parfaitement au courant des affaires de la société et détiennent généralement un savoir-faire particulier au niveau du service ou des produits vendus par la société reprise. Lorsque ces dirigeants se confondent avec la personne du vendeur, la question de leur maintien dans l’entreprise pourra faire l’objet d’épineux débats selon leur souhait de s’affranchir définitivement de l’entreprise cédée (auquel cas des clauses de non-concurrence devront être envisagées) ou la volonté exprimée par l’acquéreur de le(s) maintenir temporairement dans la société à des fins de transition.Dans une cession d’actifs, par contre, la gestion opérationnelle des actifs cédés incombe automatiquement à l’acquéreur et vu la nature de l’opération, un accompagnement du vendeur se conçoit plus rarement.
  • Formalités d’opposabilité
    Tant les cessions d’actions que celles d’actifs sont valables entre parties par leur seul échange de consentements.
    Les formalités d’opposabilité aux tiers de ces transferts sont néanmoins différentes : alors que la cession d’actions doit être inscrite dans le registre d’actionnaires (sans quoi la qualité d’actionnaire de l’acquéreur pourrait lui être déniée), le transfert de certains actifs tels qu’immeubles, droits de propriété intellectuelle, droits de créance, contrats (y compris les contrats de travail), sont soumis à diverses formalités propres à la nature de ces actifs et peuvent, le cas échéant, nécessiter l’intervention de tiers, tels que notaire, autorité administrative ou autres. En outre, en cas de cession d’un fonds de commerce, celle-ci ne sera opposable aux autorités fiscales et sociales qu’un mois après que ces dernières en aient été informées par voie de notification. A défaut, les actifs transférés demeureront à la merci d’éventuelles poursuites de ces administrations pour l’apurement des dettes du vendeur.

 

L’une et l’autre des opérations présentent donc des avantages et des inconvénients significatifs qui devront, au regard notamment des éléments repris ci-dessus, être pris en considération, selon le côté duquel on se trouve (acquéreur ou vendeur), lors de la décision de rachat ou de vente de la société.

 

Cession d’actions
Cessions d’actifs
Parties concernées
Acquéreur / Actionnaire(s) Acquéreur / Société
Objet de la transaction
Actions / parts représentatives du capital de la société Actifs déterminés avec possibilité d’inclure tout ou partie du passif
Conséquences fiscales
– Pas d’imposition si gestion normale
– Pas de possibilité d’activation au bilan et d’amortissement
 – Taux d’imposition applicable à l’ensemble des revenus
– Activation au bilan et amortissement
Continuité de la gestion
Sera en principe assurée éventuellement moyennant certaines mesures d’accompagnement N’est en principe pas assurée
Formalités
Inscription au registre des associés/actionnaires Notifications selon la nature des actifs cédés

References
1 Le présent article n’est pas à considérer comme un avis juridique circonstancié. Chaque projet de cession devra faire l’objet d’une analyse juridique et fiscale par des spécialistes propres au cas d’espèce.

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