L’arbitrage comme mode règlement des conflits dans les transactions M&A
Comment anticiper contractuellement la survenance d’un différend à l’occasion d’une transaction conclue dans le domaine des fusions et acquisitions (ou M&A pour épouser une terminologie anglaise devenue courante parmi les praticiens de la matière) et la manière de le trancher ?
Les sources de conflits sont multiples en ce qu’un litige peut résulter du contrat principal mais également d’accords qui lui sont connexes (tels lettre d’intention, protocole d’accord, accord de confidentialité, accord d’exclusivité, etc.). Quant à sa survenance, le différend peut certes naître lorsque la transaction a déjà été conclue mais il n’est pas rare qu’il surgisse avant la signature de la convention de cession, par exemple si une des parties décide de se retirer de transaction en cours de négociation voire même à la veille du closing.
S’agissant du choix du mode de règlement des litiges, la culture du « reflexe arbitral » semble gagner du terrain et conduit à imposer l’arbitrage comme solution privilégiée des rédacteurs de contrats et des parties qui les instruisent. Processus formel extrajudiciaire par lequel les parties en conflit sollicitent un tiers de les entendre et d’examiner leurs points de vue pour les départager ensuite en rendant une décision au caractère obligatoire, examinons ci-après quelques-unes des raisons pour lesquelles il peut paraître judicieux (ou non) d’opter pour ce type de procédure résoudre un conflit né ou à naître (le recours à l’arbitrage peut être décidé avant ou au moment de la survenance du litige) dans le cadre d’une transaction en matière de M&A.
1. Privatisation du contentieux
Contrairement à la publicité qui caractérise le contentieux des juridictions étatiques, la confidentialité dans la procédure arbitrale constitue l’un de ses atouts majeurs. De manière générale, plus une entreprise est grande ou exposée médiatiquement en raison de la nature de ses activités, plus grand est le besoin de ne pas révéler au grand jour l’existence et/ou la nature des conflits auxquels elle est partie prenante.
Dans les transactions M&A, la confidentialité occupe dès le départ une place importante car elle permet de préserver la confiance des parties et d’assurer un processus de cession fluide et efficace. En cas de dissensions, ce besoin de discrétion paraît encore plus fondamental en ce qu’elle permet de maintenir une certaine forme de stabilité ou paix sociale au sein entreprises concernées et de prévenir des perturbations inopportunes. L’image de l’entreprise cible de la transaction pourrait également être ternie aux yeux du public, par exemple s’il devait être révélé, dans le cadre d’un appel à la garantie du vendeur, que la consistance de ses actifs n’était en réalité pas celle présentée dans ses comptes annuels.
Le choix de l’arbitrage garantit en principe non seulement la confidentialité des débats devant les arbitres mais également l’orientation et le contenu de leur décision (ou sentence). Partant de l’idée que rien n’interdit aux parties de révéler aux tiers l’existence d’un contentieux de nature arbitrale, il sera toutefois crucial de s’assurer que la clause arbitrale, en vertu de laquelle les parties décident de soumettre leur(s) conflit(s) à ce mode de résolution, est doublée d’une clause de confidentialité destinée à prévenir toute divulgation d’information non autorisée.
2. Spécialisation des arbitres et neutralité du forum
Appréhender un litige en matière de M&A requiert de pouvoir comprendre la nature et les mécanismes parfois complexes choisis par les parties afin d’organiser la transaction. Ces mécanismes, parfois directement empruntés aux systèmes juridiques de la common law ou plus simplement inspirés des usages en matière commerciale, ont vocation à répondre aux préoccupations d’acteurs qui, actifs aux quatre coins du globe, ne sont pas nécessairement familiers avec la législation du pays dans laquelle est établie l’entreprise cible du transfert envisagé et souhaitent appliquer des techniques contractuelles standardisées. Il n’est pas rare, sinon usuel, de voir les conventions de cession soumises au droit anglais ou à celui d’un Etat américain quel que soit la juridiction de la cible et parfois même des parties elles-mêmes.
Face à une certaine réticence des juges étatiques à appliquer des lois étrangères qu’ils ne maitrisent pas ou dont ils n’ont qu’une connaissance approximative, le règlement des litiges par le biais de l’arbitrage permet de faire intervenir en lieu et place de ces juges, des personnes disposant de connaissances pointues sinon d’une expérience reconnue en la matière. L’arbitrage permet aux parties de choisir les arbitres et d’atténuer le risque d’être confronté à des juges ne disposant pas du degré de spécialisation nécessaire afin de leur donner le sentiment d’avoir pu être entendues et jugées avec toutes les compétences requises pour l’administration d’une bonne justice.
Enfin, surtout dans le cadre de litiges transfrontaliers, l’arbitrage peut être perçu comme étant une procédure beaucoup plus neutre que celles introduites devant les juridictions nationales. En effet, la saisine d’une juridiction étatique peut paraître plus avantageuse pour la partie ayant son domicile ou siège dans le ressort de la juridiction concernée, ce qui peut créer une réticence dans le chef de l’autre partie voire occasionner un réel déséquilibre entre les droits des parties intéressées à la transaction. Cette présomption de partialité est certainement atténuée par le recours à l’arbitrage où la composition du tribunal arbitral permettra de recourir à des arbitres de nationalité différentes et renforcer les apaisements parties en matière de neutralité.
3. Célérité
La procédure d’arbitrage fait l’objet d’une sentence rendue en premier et dernier degré et n’est donc pas susceptible d’appel. Par ailleurs, la procédure échappe aux modes d’échanges de conclusions applicables devant les juridictions étatiques qui, selon les cas, peuvent permettre par des attitudes dilatoires et trainer le procès en longueur.
Plus que dans tout autre type d’opération, les protagonistes à une transaction M&A, ont un intérêt évident à éviter les longueurs attachées aux modes traditionnels de règlement des conflits devant les cours et tribunaux. Celles-ci sont en effet susceptibles d’entraver, voire de paralyser le bon fonctionnement de l’entreprise objet de la transaction avec le risque de ruiner l’intérêt de l’avoir conclue.
L’arbitrage permet donc de dégager une solution rapide au conflit, non seulement en adoptant des délais plus ou moins rapprochés pour l’échange des mémoires, et en en limitant le nombre, mais également en choisissant des arbitres disposant des disponibilités d’agenda appropriées qui tranchent avec celles que peuvent offrir des cours et tribunaux devant faire face à la gestion d’un arriéré judiciaire et la surcharge plus ou moins chronique de leurs cadres.
4. Exécution de la sentence – Encadrement des recours
La sentence arbitrale a les mêmes effets et la même force obligatoire qu’un jugement étatique. La partie au bénéfice de laquelle elle est rendue pourra obtenir son exécution forcée dans l’hypothèse où la partie condamnée ne s’y soumettrait pas volontairement. Bien plus, sur le plan international, il est relativement facile d’exécuter les sentences arbitrales au-delà des frontières nationales en vertu de la Convention de New York du 10 juin 1958 pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères signée par non moins de 172 pays. La décision rendue par les arbitres présente donc des garanties d’exécution dans le sens où il ne sera plus question de refaire un procès mais plutôt de constater son existence et sa validité afin que les autorités du territoire sur lequel l’exécution est envisagée puissent acter sa force exécutoire à l’issue d’une procédure dite d’exequatur.
La possibilité d’exercer une voie de recours est en principe exclue sauf dans des cas limitativement énumérés par la loi (notamment à l’absence de motivation de la sentence, le défaut d’impartialité des arbitres ou la violation des droits de la défense) répondant en outre à des conditions d’exercice assez rigoureuses.
5. Réponse à la question du coût de la procédure
Le coût de la procédure d’arbitrage est élevé surtout lorsqu’il est comparé avec celui des procédures menées devant des juridictions nationales qui ne mettent à charge de la partie qui succombe qu’une contribution symbolique aux frais de défense en justice de la partie adverse. S’agissant d’un mode de règlement des conflits de nature privée, la prise en charge de l’intégralité des coûts générés par la procédure, incluant non seulement les honoraires des arbitres mais également, le cas échéant, ceux de l’institution chargée du secrétariat de la procédure sans compter les frais de location de salle, de traduction et autres frais de déplacement, n’apparaît cependant pas illégitime. D’aucuns pourraient même affirmer que de tels coûts compenseraient ceux liés à la nécessité de recourir à une expertise dans le cadre d’une procédure étatique pour pallier le manque de spécialisation du magistrat appelé à trancher le litige.
Quoiqu’il en soit, les moyens financiers à mettre en jeu pour obtenir gain de cause constituent parfois un véritable défi pour la partie désireuse d’obtenir la reconnaissance de ses droits. Dans le meilleur des cas, le coût de la procédure, qui peut atteindre plusieurs centaines de milliers d’euros pour la seule introduction du dossier auprès des institutions d’arbitrage les plus renommées (citons notamment celle existant sous l’égide de la Chambre de Commerce Internationale de Paris ou la London Chamber of Arbitration), produira un effet dissuasif sur l’opportunité de s’engager dans la voie du contentieux et incitera les parties à envisager plutôt une solution transactionnelle. Le choix d’une institution nationale, telle celle du CEPANI en Belgique, voire celui de se soumettre à un arbitrage ad hoc où la procédure échappe à l’administration d’une quelconque chambre d’arbitrage constituent dans ce contexte une alternative envisageable.
Enfin, dans l’hypothèse où l’introduction de la procédure s’avérerait inévitable, il existe toujours pour une partie impécunieuse la possibilité de recourir à un tiers financeur pour supporter les frais de l’arbitrage. Connues sous le vocable de third party funding (ou « TPF » dans le jargon spécialisé), certaines solutions dont l’examen dépasse cadre la présente note ont été mises en place par des organismes ou sociétés spécialisées. Leur la mission est de faciliter l’accès à l’arbitrage en offrant de préfinancer à des degrés divers le coût de la procédure contre la promesse d’abandon au bailleur de fonds d’une partie des gains générés par une sentence arbitrale favorable. Néanmoins, seuls les litiges dont l’enjeu financier et les perspectives de succès paraîtront a priori suffisants pour retenir l’attention de ces organismes de financement semblent éligibles à de telles formules.